L’art de préparer le futur

« On surestime toujours les changements qui se produiront dans les deux années à venir, et on sous-estime ceux qui se produiront dans les dix prochaines années ». 

Nombreuses sont les histoires d’entreprise florissantes qui meurent, faute de s’être réinventées à temps.

Mais, à quelle réalité humaine fait référence ce propos de Bill Gates ?
 
Et si c’est une réalité qui expose les entreprises à un danger (celui de passer trop tard ou à côté des grandes transformations à conduire), comment les dirigeants peuvent-ils atténuer cette inclination naturelle ?Les explications de cette réalité sont plurielles

 

  • Biais de focalisation (ou « biais de disponibilité ») 

Nous, les humains, avons tendance à sous-estimer les événements à long terme et à exagérer ceux qui semblent imminents. C’est presque physique : ce qui est proche parait plus gros ; ce qui est lointain semble plus petit. Ce biais est souvent lié à notre capacité limitée à traiter de grandes quantités d’informations complexes et à anticiper des changements graduels, mais disruptifs. Les événements proches sont plus immédiats, concrets et visibles, alors que les événements plus lointains sont souvent perçus comme moins prévisibles, moins tangibles ou même irréalistes

 

  • Biais du statu quo

Face à un choix, nos cerveaux ont tendance à préférer les solutions les moins consommatrices d’effort. Cela ne veut pas dire que ce sont les solutions qui sont forcément choisies, fort heureusement, mais en tous cas, statistiquement, elles ont plus de chances que les autres d’être adoptées. Ainsi, engager des efforts aujourd’hui pour anticiper une adaptation à de potentiels et lointains changements n’est pas la réponse la plus naturelle pour nos cerveaux.

 

  • Vision linéaire versus exponentielle 

L’esprit humain a du mal à conceptualiser des croissances exponentielles ou des changements disruptifs à long terme. Par exemple, le potentiel et la vitesse d’intégration d’une technologie émergente peuvent être sous-estimés au départ, car notre esprit est plus entraîné à voir l’avenir comme une extrapolation linéaire des tendances passées.

 

  • Pression du court terme 

Les entreprises et les individus doivent faire face à des échéances à court terme (Objectifs annuels, rendements financiers, etc.). Cette pression crée une attention accrue aux changements immédiats à opérer et aux gains rapides, tout en sous-estimant ceux du long terme, qui sont souvent perçus comme incertains, lointains, ou difficiles à mesurer.

 

  • Comportement adaptatif 

Enfin, les individus, et par extension les entreprises, tendent à agir plutôt en réaction qu’en anticipation. Ils ajustent souvent leur stratégie en fonction des défis immédiats plutôt que de prévoir les perturbations à venir. Cela peut expliquer pourquoi les changements disruptifs (comme les crises économiques, les innovations technologiques ou les changements réglementaires majeurs) sont mal anticipés. Les humains tendent à réagir aux signaux clairs de perturbation, mais pas à ceux qui émergent lentement.

 

Alors, comment les entreprises et leurs dirigeants peuvent-ils atténuer les dangers auxquels nous exposent ces fonctionnements naturels ?

Voici quelques recommandations pratiques :

 

  1. Promouvoir la pensée à long terme

Il s’agit de travailler dans un esprit prospectif à une vision long terme du monde, des marchés et de son secteur d’activité, de prendre le temps de zoomer sur les signaux faibles, d’y rechercher des opportunités et des risques pour son business, de travailler sur des scénarios de rupture et d’imaginer les adaptations à opérer. 

Les sources pour nourrir cet esprit prospectif sont multiples. Et ce travail prospectif pour produire du fruit s’organise. Les entreprises peuvent désormais s’adjoindre aussi la data science, l’intelligence artificielle et des outils d’analytique prédictive pour évaluer et anticiper des tendances à long terme. Ces technologies permettent d’identifier des signaux faibles qui pourraient être négligés par une analyse plus traditionnelle et de mieux comprendre comment les petites perturbations à court terme peuvent avoir des conséquences majeures à long terme.

Cette activité de prospective implique chez les dirigeants une attitude d’ouverture, de veille et de créativité.

 

  1. Engager régulièrement des processus de vision stratégique

Les dirigeants doivent encourager une vision stratégique à long terme, plutôt que se centrer seulement sur les résultats à court terme. C’est tout l’intérêt des processus de vision stratégique qui seront d’autant plus pertinents qu’ils sont alimentés par la prospective citée précédemment. Les processus de vision stratégique ont pour effet d’inviter le futur dans le présent, car ils conduisent à identifier et engager dans le court terme les chantiers les plus stratégiques pour l’avenir. 

 

  1. Promouvoir la culture de l’innovation continue 

La plupart des innovations et transformations émergent et poussent sur un terrain préparé et entretenu. L’innovation ouverte et l’état d’esprit qui en résulte augmentent les chances de capter des opportunités avant qu’elles n’émergent de façon évidente. Dans ce domaine de l’innovation, les partenariats (grands groupes / start-up ou entreprise / laboratoires de recherche) sont souvent des accélérateurs précieux. 

 

  1. Favoriser une culture de la remise en question et de la diversité des regards

Un autre moyen d’éviter de sous-estimer les changements à long terme est de favoriser une culture managériale et des pratiques de gouvernance qui encouragent la diversité d’opinions et leur expression. Les dirigeants doivent trouver dans leurs équipes (sinon hors de l’entreprise) des personnes capables de remettre en question les croyances dominantes et de proposer des visions alternatives du futur.

Ces personnes sont souvent des irritants pour leurs collègues (« le premier qui dit la vérité…il doit être exécuté »). Voila pourquoi elles doivent recevoir le soutien manifeste du dirigeant. 

 

  1. Cultiver la flexibilité 

L’entreprise doit se préparer en permanence à vivre le moment venu les adaptations rapides qui pourraient s’imposer. C’est le rôle du dirigeant de l’y préparer : lutter au quotidien contre les raideurs organisationnelles, susciter la coopération, simplifier les processus de décision, remettre en question les croyances limitantes, favoriser la mobilité interne, valoriser les initiatives et le changement, oser les modifications de priorités, les assumer et les expliciter. La  responsabilité du dirigeant est de prévenir l’ankylose et entraîner l’entreprise à la souplesse dont elle aura besoin pour vivre les grandes transformations.

 

De tout cela, quel est l’essentiel ? 

Prospective et vision stratégique sont absolument nécessaires. Elles permettent de tracer un chemin et de convoquer le futur dans le présent de l’entreprise. Elles ne sont pas suffisantes car la projection construite d’un monde incertain est par nature faillible.  

Pour autant les dirigeants ne doivent pas craindre l’incertitude et y voir au contraire une opportunité : celle de se réinventer sans cesse, de se donner les meilleures chances de transformer les défis d’aujourd’hui en leviers des succès de demain.

La meilleure façon pour un dirigeant de préparer le futur c’est de consacrer aujourd’hui du temps et de l’énergie à faire évoluer la culture de l’entreprise dans le sens de plus de curiosité, plus d’intérêt pour l’avenir, d’éveil, de goût pour l’exploration des opportunités, de courage pour regarder les risques, de capacité individuelle et collective à se remettre en question, plus d’expérimentation et de flexibilité. 

En s’attachant à cela, le dirigeant prépare le futur de l’entreprise… y compris dans les moments où celui-ci est confus.

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